Odilon-Jean Dion, apothicaire, fondateur de la Pharmacie O.J. Dion, et Léa Drolet, son épouse, une femme d’exception qui, en fin du 19e siècle, réussit à percer le « plafond de verre »
La pharmacie O.J. Dion
Le bâtiment de l’ancienne pharmacie Dion, située à Lévis devant l’embarquement de la Traverse, représente le plus bel exemple d’une vingtaine de bâtiments commerciaux qui, jusqu’en 1960, bordaient la rue Commerciale (auj. rue Saint-Laurent) . L’édifice a perdu la corniche qui en faisait un immeuble de prestige. Cependant, les fenêtres cintrées qui ont subsistées enjolivent ce bâtiment qui ressemble à des milliers d’autres situées au cœur de petites villes pittoresques du 19e siècle éparpillées ici et là sur la côte de la Nouvelle Angleterre et également au centre du continent. L’histoire des fondateurs de la pharmacie Dion est des plus intéressantes d’autant plus qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une ville qui appartient à la grande histoire.

L’édifice de la pharmacie Dion, vers 1920

La pharmacie Dion en 1933, alors sous la direction de Maurice Dion, pharmacien, et l’avenue Laurier, le cœur de la Traverse

La pharmacie Dion, juin 2017, avant l’inclusion sur la gauche d’un grand hôtel à 7 étages, et sur la droite, d’un immeuble condos-balcons à 4 étages.
Les pharmaciens Drolet et Dion
Léa Drolet (1852-1920) et Odilon-Jean Dion(1845-1919) se sont mariés à Québec en 1872. Selon l’annuaire Marcotte pour l’année 1871, Odilon était déjà établi comme apothicaire, chimiste et droguiste à l’adresse 86 Commerciale, tout près du Marché Lauzon, à l’ouest du bâtiment numéroté alors au 72 Commerciale, propriété du marchand Elzéar Bédard et qui, comme nous le verrons ci-dessous, abritera plus tard le commerce de la famille Dion.
Odilon et Léa eurent deux enfants, dont Maurice-Odilon (1877-1937) qui sera succédera à ses parents au début du XXe siècle.
Comment Odilon-Jean Dion devint licencié en pharmacie
En 1875, le gouvernement du Québec adopta l’Acte de Pharmacie en vue de « régler et décider de la compétence des personnes qui désireraient faire le commerce de chimistes-pharmaciens, ou de chimistes et droguistes, et pour le règlement de la vente de poisons, et pour les autres fins en rapport avec la pharmacie. » L’article 3 de la l’Acte indiquait que : « Toutes personnes dans les affaires pour leur propre compte comme chimistes ou apothicaires, avant la passation du présent acte, auront le droit d’être inscrites sur le registre et d’obtenir un certificat de licenciés en pharmacie ».
Tout candidat disposait d’un an pour demander son inscription auprès du conseil de l’Association pharmaceutique. C’est donc dans le délai prescrit qu’Odilon-Jean Dion, sans avoir à subir d’examen, présenta une demande et obtint son certificat de licencié en pharmacie.
Dion s’afficha alors sous la raison O.J Dion, Pharmacien. En 1877, il tenait son commerce toujours près, sinon au Marché Lauzon. En 1885, la ville vendit le Marché Lauzon à la Compagnie du chemin de fer Intercolonial. Après rénumérotation, l’adresse de la gare de l’Intercolonial devient 117½ Commerciale. L’annuaire Marcotte de 1892-93 indiqua O.J. Dion, Pharmacien, 117½ Commerciale, Mme J. Odilon Dion, téléphone 14.

Bouteille de mesure pour médication et poison – Collection J.-B. Lanteigne, Boisbriand
Du parfum, des toilettes et de la musique pour les bourgeois de Lévis

Chez madame O,J. Dion, grands parfums et articles de toilette pour jeunes femmes – Entrefilet dans le journal clandestin »La Cravache » ( 29 juillet 1899)

La pharmacie O.J. Dion, seul agent de la compagnie E. Berliner à Lévis
La chaîne des titres
Un relevé des transactions concernant le terrain sur lequel se trouvait la pharmacie Dion permet d’établir la liste des propriétaires successifs entre 1868 et 1955 :
- En 1868, William Lamontagne
- De 1868 à 1898, Elzear Bédard, marchant épicier, maître de poste, puis hôtelier
- De 1898 à 1900, Richard Saint-Pierre, hôtelier
- De 1900 à 1906, Arthur Narcisse Drolet, marchand épicier de Québec, beau-frère d’Odilon-Jean Dion, frère de Léa Drolet
- De 1906 à 1935. Maurice-Odilon Dion, pharmacien
- De 1935 à 1955, Paul Dion, pharmacien
Démence et loi privée
En 1892, l’état mental d’Odilon-Jean Dion s’était détérioré au point qu’il dût être interdit. Des autorités ont souligné que le métier d’apothicaire n’était pas sans risque de maladie professionnelle. Dans le Bulletin de la Société d’histoire de la pharmacie ( No 28-1920), P. Rambaud indique que des fleurs de légumineuses, mises à sécher, par leur odeur produisent la folie.
Léa Drolet avait depuis son mariage agi comme associée dans la préparation des médicaments et la conduite des affaires. N’étant pas elle-même licenciée, elle ne pouvait continuer le commerce sans risquer les foudres de la loi. Elle prit alors conseil et présenta une loi privée à l’Assemblée législative dans laquelle elle invoqua qu’à l’occasion de son mariage en 1872, elle était de fait devenue copropriétaire de l’entreprise O.J Dion, qu’elle était autorisée de par la loi créant l’Association pharmaceutique (1875) à demander une licence de pharmacienne, et qu’elle possédait les connaissances professionnelles et la capacité requise des licenciés en pharmacie.
Adoption par l’Assemblée législative de la Loi accordant à Léa Drolet le droit à une licence de pharmacienne
« La Loi pour autoriser l’Association pharmaceutique de la province de Québec à émettre à Léa Drolet une licence de pharmacienne » fut adoptée le 27 février 1893. ( Statuts du Québec, 1893, Ch. 100 )
Comme conséquence, on peut lire dans l’annuaire Marcotte de 1895 les informations qui suivent :
- Dion, Maurice-O, étudiant en pharmacie, Commerciale 117 ½
- Dion, Mme O. J., pharmacienne, Commerciale 117 ½
On doit donc conclure que Léa Drolet, mère et pharmacienne, préparait alors sa relève.
Une pharmacienne de plein droit, avec statut de personne mineure
Dans l’ancien droit, une personne de sexe féminin ou masculin, en atteignant l’âge de 21 ans, devenait une personne majeure avec plein exercice des droits civils, à une exception, la femme était privée du droit de vote. La femme, à l’occasion de son mariage, redevenait une personne mineure, et pouvait récupérer sa pleine majorité au décès du mari.
La mesure d’interdiction qui avait frappé Odilon Dion n’avait pas mis fin au régime matrimonial qui l’unissait à Léa Drolet. Léa était toujours considérée comme personne mineure. En avril 1900, il se présenta à la pharmacienne une occasion pour acheter une propriété de prestige située sur la rue Commerciale, face au débarcadère des traversiers. Comme son mari n’avait plus la capacité de signer l’autorisation pour conclure l’achat, Léa s’en fut trouver son frère, Arthur Drolet, marchand épicier de la rue Saint-Vallier, à Québec. Léa proposa à son frère d’acheter l’immeuble et de signer une convention devant notaire dans laquelle il s’engageait à revendre l’immeuble à sa demande à une personne qu’elle lui désignerait en temps opportun. Léa avança donc 2 500 $ à son frère, celui ajouta 2 500 $ et le vendeur, Richard Saint-Pierre, encaissa le prix de vente, soit 5 000 $.
C’est donc au printemps de l’an 1900 que la Pharmacie O.J. Dion vint occuper l’immeuble qui avait fait l’objet de la convention, et que la tradition indique comme sa place d’affaire pendant le prochain demi-siècle.
Une retraite bien méritée et la pharmacie Dion entre bonne mains
En 1906, Léa Drolet avait été dans la pratique depuis plus de 30 ans. Elle décida de prendre sa retraite avec l’assurance que son fils Maurice avait toutes les capacités pour assurer la progression de l’entreprise . En vertu de la convention d’avril 1900, elle demanda à son frère de céder l’immeuble à son fils. Le prix de vente fut de 8 000 $, dont 2 500 $ pour rembourser Arthur Drolet, et la balance à charge pour Maurice de payer 5 000 $ à Léa Drolet par versements de 100 $ par mois, jusqu’à paiement du solde final.
Une femme d’une intelligence peu ordinaire
Dans ses Dates Lévisiennes, l’historien Pierre-Georges Roy a mentionné de manière succincte, et surtout très élogieuse, le décès de Léa Drolet :
9 janvier 1920 – Mort de Léa Drolet. Veuve de Odilon-Jean Dion, à l’âge de 68 ans. Femme de bien dans toute l’acceptation du mot. C’était aussi une femme d’une intelligence peu ordinaire. Pendant de longues années, c’était aussi l’âme de l’importante pharmacie O.-J. Dion. Elle laisse deux enfants : Maurice Dion, pharmacien, et Mme Maurice-Arthur Bélanger, d’Ottawa.
Le repos éternel
Nous avons localisé dans la partie sud du cimetière Mont-Marie à Lévis le monument indiquant la présence de sépultures pour trois générations des pharmaciens Dion.

Le monument M. Dion, dans la partie sud du cimetière Mont-Marie, à Lévis

Les inscriptions sur le monument M. Dion, dont celle de Léa Drolet, épouse de O.J. Dion
Briser le plafond de verre
La locution « plafond de verre » est une expression relativement récente pour désigner le fait que, dans une structure hiérarchique, les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes, dont celle des femmes. Léa Drolet a été une femme d’une intelligence « peu ordinaire » qui a réussi, au 19e siècle, à briser le « plafond de verre ». La ville de Lévis doit en prendre acte, doit assurer le respect du cœur historique de la Traverse, l’environnement professionnel des Pharmaciens Dion, et finalement, doit prendre les grands moyens pour assurer la mémoire de cette femme d’exception qui, en des temps héroïques, a été parmi les premières femmes du Québec et du Canada à réclamer ses droits et à gagner courageusement sa place au soleil .
Yvan-M. Roy, historien local
N.B. : L’auteur invite à communiquer toute information concernant les fondateurs de la maison O.J. Dion, à son attention: infocqvl@gmail.com
Addenda sur des parfumeurs que représentait Léa Drolet :
b) https://fr.wikipedia.org/wiki/L.T._Piver

Publicité de 1889 du parfumeur L.T. Piver -Source Wikipedia Commons
c)

Pour séduire…Gellé Frères, Parfumeurs de Paris, présents à Lévis chez la Pharmacie O.J. Dion
d) http://www.beaute-test.com/houbigant.php
Tout a commencé avec un simple bouquet de fleurs… Un jour, Jean-François Houbigant pendit l’image d’un bouquet peint au dessus de son magasin situé dans la rue du Faubourg Saint-Honoré. Depuis ce jour en 1775, ses fragrances ont reçu les faveurs de la noblesse. Il fut le parfumeur de Marie-Antoinette jusqu’à ses derniers jours.
Houbigant est cité dans la généalogie du parfumeur comme le créateur de fragrances qui ont servi à l’établissement de nouveaux critères de classification et ont ainsi influencé d’autres compositions pendant un grand nombre d’années.

Le Parfum Idéal de la maison Houbigant, lancé sur le marché en 1900
Addenda 2e sur l’histoire des parfumeurs
Auriez-vous une photographie de madame Odilon-Jean Dion?.