Le Vieux-Lévis et la densification par la démolition des bâtiments anciens

* Article publié dans la revue « La Lucarne » Vol. XXXII, numéro 2 – Printemps 2012

Par Yvan-M. Roy

Il y a bien longtemps, « la Traverse » ou « le Passage » étaient les termes que les gens de Lévis utilisaient pour indiquer l’endroit où, été comme hiver, des canotiers offraient un service pour se rendre à Québec. Une percée dans la falaise prit le nom de côte du Passage. La côte devint la voie d’accès vers le sud à l’ intérieur du pays, pour aller en Beauce ou jusqu’à Boston. De nombreuses auberges offraient le gîte aux voyageurs en attente d’un canot passeur. C’était l’époque où le seigneur John Caldwell avait créé cette ville d’Aubigny (1818), le rêve d’un premier centre de villégiature pour familles aisées au Bas-Canada.


L’âge d’or de la côte du Passage

L’âge d’or de la vieille côte débuta en 1854 quand Lévis devint le terminal maritime du chemin de fer Grand-Tronc. En 1861, le conseil de Lévis tenait ses premières réunions dans l’ancienne auberge Foisy, à l’angle Wolfe et du Passage. Jusqu’en 1881, un essor économique exceptionnel permit aux commerçants d’amasser des fortunes. Du printemps à l’automne, Lévis était le port de débarquement  de dizaines de milliers d’immigrants qui cherchaient à gagner l’Ontario, le Mid-West américain et les Prairies canadiennes. De toutes les campagnes sur la rive droite du Saint-Laurent, on y venait se procurer l’essentiel et le luxe. Pour un temps, la côte du Passage devint la « côte des Marchands ». Des journaux comme L’Écho de Lévis ou Le Quotidien  y étaient édités et se comparaient aux meilleures publications de Québec ou de Montréal. Bien des édifices ont 125 ans, quelques uns remontent à l’époque d’Aubigny. Ils reflètent le dynamisme et l’aisance des entrepreneurs et commerçants du 19e siècle. De 1872 à 1893, alors qu’il fut successivement journaliste, publiciste et éditeur, Alphonse Desjardins était un habitué. Il louait un bureau situé au No 13, côte du Passage, à l’angle de la rue Wolfe.


L’artère des premières rues du Vieux-Lévis

La côte du Passage  reçoit les rues Saint-Georges, Saint-Louis,  Bégin, Wolfe, Déziel et Fraser. Là se trouvent des édifices publics et religieux dont certains jouissent d’un statut officiel. On y trouve trois églises, le collège, le couvent, la maison Desjardins, les Halles Notre-Dame, le Manège militaire, le monastère du Précieux-Sang, celui des Visitandines, le premier Hôtel-Dieu. Également, il y a une variété de bâtiments construits depuis le régime français, maisons normandes, canadiennes, québécoises, mansardes, anglo-normandes, néo-gothiques, victoriennes, cubiques, etc. La ville compte un inventaire de 4 000 bâtiments patrimoniaux, et la plus forte concentration se trouve au Vieux-Lévis.


Le mal du nouveau siècle

Les planificateurs contemporains opposent à l’étalement urbain la politique du « retour en ville ».  La « densification »  est inscrite comme principe directeur des nouveaux schémas d’aménagement et plans d’urbanisme. Ce principe est le nouveau crédo de plusieurs décideurs et promoteurs qui l’utilisent comme argument passe-partout pour camoufler bien souvent un développement sauvage. Le mot « harmonisation » est galvaudé. À côté des rangées d’immeubles de 2 ou 3 étages, les planificateurs favorisent des constructions massives qui doublent ou triplent la moyenne observée. Le volume cubique type est parfois multiplié par dix, souvent davantage. Par exemple, un projet en cours de réalisation, rue Saint-Louis, dominera les 4 étages des Halles Notre-Dame (1882) avec 7 étages de facture contemporaine, et un volume 15 fois supérieur. Pour les nouvelles constructions, les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) sont interprétés en faveur de la démesure, de la maximisation du profit, du revenu fiscal, cela aux dépens de la richesse collective. Pour plusieurs, la densification mal appliquée est devenue le mal du nouveau siècle qui va détruire l’âme du quartier.


Une lutte à finir

Le Comité de quartier du Vieux-Lévis a vu le jour en septembre 2011 sous l’initiative de citoyens qui, depuis le printemps 2010, agissaient séparément face aux excès de densification dans leur quartier. Des promoteurs voulaient démolir plusieurs bâtiments anciens dans la côte du Passage, dont celui construit en 1882 par Anselme-Romuald Roy, un pionnier de la photographie, un autre en 1874 par l’éditeur Michel Poitras, le premier patron d’Alphonse Desjardins, et un dernier en 1828 par un certain George Davies, à l’époque de la ville d’Aubigny.  En remplacement, des condos luxueux, avec balcons, portes-patio et grande volumétrie. L’historien Michel Lessard s’est prononcé vigoureusement pour dénoncer l’incurie de l’administration municipale. Le Comité de quartier a mis sur la toile un site (cqvl.org/galerie) qui présente l’évolution du débat et un inventaire des éléments forts du Vieux-Lévis. On y lit la préoccupation d’une administration qui a bêtement refusé l’offre récente du gouvernement québécois d’accorder au vieux quartier le statut d’arrondissement historique. Le Comité veut faire cesser la foire d’empoigne qui risque d’emporter les bâtiments les plus beaux et les plus représentatifs d’une ville inscrite dans l’histoire des Amériques. Une véritable lutte à finir.


Devant les Halles Notre-Dame (1882), un exemple typique de densification dans le Vieux-Lévis.


La côte du Passage, où Alphonse Desjardins, éditeur et sténographe, louait un local à la même adresse que le liquidateur Alfred Lemieux OU  La côte du Passage, à l’époque d’Alphonse Desjardins.

La côte du Passage, à l’été 2011, angle rue Wolfe.


2 commentaires sur « Le Vieux-Lévis et la densification par la démolition des bâtiments anciens »

  1. Bonjour,
    J’observe et apprécie votre action louable, généreuse et tenace depuis un an que je vis à Lévis par choix.
    Il me semble bien que cette ville soit mal gérer, comme notre Pays et la fédération d’ailleurs.
    Il y a pourtant des idées géniales, mais qui sont mal réalisées, parfois à cause de détails mineurs négligés.
    Par exemple le tourisme me paraît très mal développé. Le touriste n’est pas seulement le Japonais qui passe une heure de sa vie à Lévis, c’est aussi vous et moi pour des petites sorties, nous irions moins souvent sur la rive nord si les commerces étaient plus actifs ~ TOUTE L’ANNÉE ~ ici. J’ai la ferme conviction que les subventionner serait rentable (et agréable).
    Je vous admire et, au moins moralement pour l’instant, vous soutiens. AW

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