Des citoyens de Lévis ont entrepris une démarche en vue de faire inscrire le Vieux-Lévis dans le palmarès des 10 sites les plus menacés au Canada, publié par la Fondation Héritage Canada. Ce noyau historique, traversé par l’axe identitaire que représente la Côte-du-Passage (ancienne Côte-des-Marchands) et qui date de la colonisation du Québec, rencontre tous les critères exigés afin d’être reconnu comme site menacé :
a) L’importance du site, en tant que secteur significatif et unique au plan historique parce que première porte d’entrée et de peuplement de la rive-sud et jusqu’à l’état du Maine, en provenance de Québec (là où le fleuve est le plus étroit), depuis les débuts de la colonisation du Québec, et cœur historique de l’ancêtre de la Ville de Lévis, la Ville d’Aubigny, fondée en 1818.
b) L’imminence de la menace, parce que depuis plusieurs années la Ville entérine les démolitions de bâtiments patrimoniaux au profit de projets de forte volumétrie, forte densité d’occupation et forte rentabilité (complexes de condos), comme pour le cas des trois bâtiments actuellement menacés de démolition dans le noyau historique (en réalité quatre, puisque deux de ces bâtiments partagent un mur mitoyen). Une bonne partie des éléments identitaires de ce noyau traditionnel sont ainsi disparus ces dernières années, malgré l’opposition des citoyens qui demandent que le patrimoine identitaire soit intégré aux nouveaux développements au lieu d’être simplement détruit.
c) L’appui de la collectivité en faveur de la préservation. Le site du Comité de Quartier du Vieux-Lévis, organisme spontané ayant vu le jour il y a deux ans devant l’urgence de la situation, représente une centaine de citoyens inquiets pour la préservation du caractère identitaire, patrimonial et historique du Vieux-Lévis. Une demande de statut d’arrondissement historique national, présenté par le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au Milieu (GIRAM) en 2006, a reçu l’appui de la majorité des intervenants et organismes du milieu, en plus de la complète collaboration du Ministère de la culture, division du patrimoine (selon Gilles Lehouillier, député de Lévis et adjoint à la ministre de la culture). Le gros du travail est fait au niveau du ministère mais le projet reste bloqué en raison du refus de l’administration municipale.
La Fondation Héritage Canada est un organisme voué à la préservation et la promotion des divers patrimoines Canadiens depuis 1973. En septembre 2011, elle a publié son septième Palmarès annuel des 10 sites les plus menacés de destruction, à court terme. Notons que parmi les sites de cette dernière édition figure l’Arrondissement Historique de Sillery.
Compte tenu de la pression soutenue des promoteurs, en perpétuelle recherche de sites intéressants pour la construction de complexes de condos de forte rentabilité, les secteurs traditionnels « avec vue » sont particulièrement prisés. Le noyau historique du Vieux-Lévis, avec sa falaise et sa Côte-du-Passage en plongée comme une fenêtre ouverte sur le fleuve et la rive-nord, sa sœur Québec, représente une aubaine pour les promoteurs, surtout en raison de l’absence de mesure reconnue d’identification et protection du patrimoine à Lévis (seule ville dans cette situation parmi les 10 plus importantes villes du Québec, dont elle occupe le 8ème rang au plan de la démographie).
La mesure appliquée à Lévis pour le patrimoine résidentiel bâti, le PIIA (Plans d’implantation et d’intégration architecturale) concerne le soutien à la restauration des bâtiments, à la demande des propriétaires qui ont la volonté d’entretenir leur bâtiment. Il n’y a rien pour empêcher un promoteur de faire l’acquisition de bâtiments et de les laisser se détériorer au fil du temps pour, subséquemment, évacuer « d’urgence » les locataires et justifier une demande de démolitions avec, en appui, des plans de complexes de condos de forte rentabilité, comme c’est actuellement le cas. Le 2 avril dernier, la Ville a donné son accord pour la démolition du premier de ces bâtiments (datant de 1830 et jugé sain de structure), malgré plusieurs demandes en appel venant de citoyens.
Lundi le 16 avril, elle rendra sa décision en ce qui concerne les autres bâtiments menacés (L’analyse menée par la firme Patenaude-Trempe, engagée par la Ville, décrétait que l’«état général du bâtiment [32-34] demeure sain et ne présente pas de désordre généralisé qui affecterait l’ensemble de l’édifice». Article Le Soleil, 11 avril 2012). Tous ces bâtiments appartiennent au même promoteur.
Voilà bien des années que les citoyens du Vieux-Lévis tentent de se faire entendre auprès de leurs représentants, mais en vain. Nous souhaitons que le soutien de cette prestigieuse organisation, la Fondation Héritage Canada, pourra faire la différence avant qu’il ne soit irrémédiablement trop tard. Parce que pour le Vieux-Lévis, maintenant, il est moins une.
Comme il était moins une en 1976 pour le Quartier Petit Champlain, lorsque ses bâtiments placardés et envahis de pigeons étaient voués à la démolition. Aujourd’hui, nous prenons tous pour acquis le fait que ce quartier historique unique fasse partie du patrimoine mondial de l’Unesco et attire 1,5 millions de visiteurs chaque année. Nous avons oublié à quel point, pour cette « plus vieille rue et… le plus ancien quartier commercial sur le continent » (guide touristique Le Portail du Québec), il n’y a pas si longtemps il était aussi moins une.
C. Belley (Pour le Comité de Quartier du Vieux-Lévis)