Opposition du GIRAM à la démolition de l’ancien Hôtel Victoria à l’Anse Tibbits

Lévis, le 1 octobre 2020


Comité de démolition, Ville de Lévis
Monsieur David Gagné, secrétaire du comité,
996, rue de la Concorde, Lévis, G6W 0P8

Objet : Objection à la demande de démolition du bâtiment situé au 5204-5224, rue
Saint-Laurent (connu comme étant l’ancien hôtel Victoria) et portant le numéro de lot
2 432 578 du cadastre du Québec.


Le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) a été très étonné
de lire l’avis public de cette demande de démolition dudit immeuble de la part de la compagnie à numéro 9407-4218 Québec Inc. et lequel a été acheté pour 200 000$, le 3 février 2020. À notre avis, si le comité de démolition, composé des trois présidents d’arrondissement (Anne Jeffrey, Michel Turner et Réjean Lamontagne), donnait son consentement, il ne faudrait pas se surprendre que ce précédent entraîne la démolition de plusieurs autres bâtiments patrimoniaux qui se trouvent à proximité dans
l’Anse Tibbits, un bastion de l’histoire économique de Lévis.

Plusieurs motifs justifient notre objection à cette demande, dont les suivants :


1-La valeur historique du bâtiment et de l’environnement bâti du secteur


Le bâtiment de l’ancien Hôtel Victoria existe depuis au moins 160 ans. On en fait men
dans un contrat du 13 août 1861. Un incendie l’aurait ravagé à l’automne 1867, mais le
journal Le Progrès de Lévis du 18 mai 1868 mentionne que cet hôtel a été reconstruit avec
de plus grandes proportions, plus d’élégance, plus de confort. « La nouvelle maison a pour
ainsi dire surgi sur les décombres de l’ancienne. L’extérieur de la bâtisse est magnifique, il
est construit en briques blanches. Au deuxième étage, une galerie a été faite sur toute la
longueur de la bâtisse. Du haut de cette galerie, on a un magnifique coup d’œil sur le
fleuve ». 1


Le lot sur lequel a été construit l’Hôtel Victoria a été acquis probablement par le Grand
Trunk Railway en 1859 de George Taylor (Davie), constructeur naval de Lévis. Il semble
que ce soit le Grand Tronc qui aurait fait construire l’hôtel, selon les plans de l’architecte
Staveley, avant de le revendre à l’aubergiste Frank Tofield de Lévis, le 13 août 1861. (Voir
Annexe 1 : contrats significatifs).


Le secteur de l’Anse Tibbits vers 1880. (Prudent Vallée, BanQ : 03Q_P1000S4D60P12)


En 1897, la veuve Rhodes (Ann Catherine Dunn) qui avait aidé Tofied à acquérir l’hôtel en
1861, revend le même terrain irrégulier et le bâtiment de briques à trois étages (connu
comme l’Hôtel Victoria) et autres bâtisses à Michel Joseph Boivin, le premier propriétaire
canadien-français à en prendre possession, le 3 février 1893.
1 Cité par Pierre-Georges Roy dans Dates lévisiennes et par Yvan Roy sur le site Internet du Comité de
quartier du Vieux-Lévis.

Mais ce qui est le plus impressionnant, c’est toute l’histoire qui s’est déroulée à l’Anse
Tibbits, une histoire très liée au développement économique de la ville de Lévis,
notamment par l’implantation du premier terminal ferroviaire, celui du Grand Tronc en
1854.

D’ailleurs, la Ville de Lévis et d’autres partenaires ont fait ériger un panneau historique
afin de démontrer l’importance de l’Anse Tibbits dans le développement économique et
commercial lévisien au XIXe siècle. Il serait aberrant qu’on laisse détruire les bâtiments
patrimoniaux existants et qu’on se contente d’une plaque historique…


Panneau d’interprétation de l’histoire de l’Anse Tibbits et du bâtiment qu’on veut démolir
en arrière-plan.
(Photo Gaston Cadrin, 26 septembre 2020)

Dans son environnement immédiat, le bâtiment du 5204 à 5222, rue Saint-Laurent compte
au moins cinq bâtiments de briques à forte valeur historique.
(Photo : G. Cadrin, 22 septembre 2020

2- Un bâtiment encore solide et restaurable


Certes, depuis 1968, ce bâtiment a été possédé par des propriétaires immobiliers (Voir
Annexe 1) qui l’ont exploité en logements de faible qualité, sans entretenir
convenablement celui-ci, du moins dans son apparence extérieure. On ne sait en quelle
année, mais l’immeuble à logements (ancien Hôtel Victoria) a été amputé de près des
deux tiers de sa façade nord donnant sur la rue Saint-Laurent et le fleuve.


L’Hôtel Victoria et autres lieux d’hébergement au sud.
(Photo : Edgard Gariépy, milieu des années 1940)

Si on enlevait le revêtement inapproprié, on redécouvrirait la brique et les pierres de taille
en calcaire des tours de fenêtres. D’ailleurs, on voit encore ces pierres en calcaire taillé
comme base des fondations.

3- Une autre intervention de spéculation aux dépens du patrimoine bâti de Lévis


Depuis quelques décennies, le patrimoine bâti de Lévis est l’objet d’une intense
spéculation et de fortes atteintes de la part de promoteurs plus soucieux de s’enrichir
rapidement que de mettre en valeur cette richesse culturelle collective. Dans certains cas,
ils viennent de Québec, un lieu qui doit à la mise en valeur de son patrimoine, une part
importante de son économie. Les règles y sont en effet plus sévères en matière de
conservation historique qu’à Lévis.


Ce bâtiment, faisant l’objet de la présente demande de démolition, représente encore une valeur architecturale indéniable et une bonne valeur marchande comme immeuble locatif; en témoigne son évaluation municipale de 577 800 $ (331 500 $ pour la bâtisse et 246 300 $ pour le terrain). De plus, la Caisse Desjardins a consenti un prêt de 520 000 $ à la compagnie 9407-4218 Québec Inc., démontrant qu’elle accorde une valeur équivalente à l’évaluation municipale de l’immeuble. De plus, lors de l’achat du 31 janvier 2020, le contrat (# 25 188 096) mentionnait que les loyers bruts au moment de la vente s’élevaient à 2 400 $ par mois et que l’acheteur devait respecter les baux en vigueur, exprimant que
l’immeuble avait encore une valeur commerciale et d’habitation.

En conclusion


Le GIRAM est d’avis que ce bâtiment devrait faire l’objet d’une restauration et non pas de
se voir condamné à la démolition. Nous croyons également que le propriétaire pourrait
annexer un bâtiment qui se marierait ou s’intégrerait à l’ancien dans la partie amputée à
l’ancien Hôtel Victoria (côté est). Ce dossier d’apparente à un dossier similaire de la côte
du Passage, traité par la Ville en 2011. Un promoteur immobilier avait alors soumis au
comité de démolition deux ou trois demandes de démolition, sous prétexte de la vétusté
des bâtiments. Ces demandes avaient été refusées par le comité de démolition. Les
bâtiments ont par la suite été rénovés en conservant leurs caractéristiques architecturales extérieures et abritent aujourd’hui des logements de bonne qualité. De plus, sans l’ombre d’un doute, ces restaurations ont permis de conserver un certain cachet historique à la côte du Passage, située au cœur du Vieux-Lévis. Si le comité de démolition devait entériner cette demande, le risque est très élevé que
tous les bâtiments de l’Anse Tibbits y passent par la suite. On y trouve pourtant une
concentration fort intéressante de bâtiments patrimoniaux.

La Ville de Lévis doit se ressaisir en termes de conservation patrimoniale, car avec plus de 40 bâtiments anciens démolis depuis plus de 10 ans, elle est devenue peu exemplaire par rapport à d’autres
villes de même taille au Québec.


Gaston Cadrin, vice-président (Patrimoine et Environnement
GIRAM

Annexe 1 : Principaux contrats significatifs


13 août 1861 (# 8486)
: Vente par The Grand Trunk Railway Company à Frank Tofield
(tenancier d’hôtel) de la paroisse Notre-Dame-de-la-Victoire.
Description : “All that certain lot or parcel of ground of an irregular figure, situated a
place called Tibbits Cove, in the said parish of Notre Dame de la Victoire, containing one
hundred and ninety-seven feet six inches in front by one hundred and forty feet or
thereabouts in depth, on the North East side, and fifty nine feet in depth on the South West
side, the whole more or less, English measure, bounded in front the North ley the Quenn’s
highway or cove road, in rear partly by Robert Sample and partly by Olivier Cauchon, on
one side towards the South West ley the said highway or cove road, together with a large
three story building known as the Victoria Hotel, also a two story stone dwelling house,
outbuildings premises there or erected and being, circumstances and dependencies; as the
whole in laid down and designated under letters AFHLDCBA, upon plan of the said property
drawn up and prepared by Alexander Wallace, Provincial Land Surveyor”.
Le vendeur déclare que ce lot et partie de terrain avait été acquis de George Taylor,
maître-charpentier de la paroisse Notre-Dame de la Victoire, contrat devant Me Noël
Bowen,
le 26 octobre 1859 et partie de Robert Sample devant le même notaire, le 29
octobre 1859.
Prix : 2000 livres, monnaie du Canada, lequel montant a été payé par Ann Catherine Dunn,
épouse de William Rhodes of Benmore de la paroisse de Saint-Colomb de Sillery.

14 juin 1889 (# 30476) : Vente des héritiers de Frank Tofield (William Tofield, marchand
de Lévis et sa sœur Elisabeth) à Ann Catherine Dunn (en séparation de biens de William
Rhodes, ministre de l’agriculture du Québec) La description du bien cédé est la même
que celle du contrat précédent du 13 août 1861. Les vendeurs possèdent ce bien en vertu
du testament de leur père Frank ou Francis Tofied daté le 17 juillet 1862 (#13195). La
vente est faite pour le montant de 16 000 $.

3 février 1893 (# 33289) : Vente de dame Anne Catherine Dunn demeurant à SaintColomb de Sillery, veuve de feu l’honorable William Rhodes à Michel Joseph Boivin (écuyer, marchand de Lévis), devant Me Henry C. Austin de Québec.
À savoir : « Un certain lopin de terre d’une figure irrégulière, situé à un endroit appelé
Tibbits cove dans la paroisse Notre-Dame de la Victoire, maintenant dans la ville de Lévis,
contenant cent quatre vingt dix sept pieds et six pouces de front par cent quarante pieds
ou environ de profondeur du côté Sud-Ouest, le tout plus ou moins mesure anglaise, borné
en front au nord par le chemin public, en arrière partie par les représentant de Robert
Sample et partie par Olivier Cauchon, d’un côté au nord-est par la compagnie d’entrepôts
de Québec, et d’un autre côté au sud-ouest par le dit chemin public, avec ensemble cette
grande bâtisse en briques à trois étages connu sous le nom d’Hôtel Victoria, et d’autres
bâtisses dessus construites, circonstances et dépendances; tel que le tout décrit et désigné
sous les A.F.G.H.L.D.C.B. et sur un plan des lieux fait par Charles Wallace, arpenteur,
annexé à un acte de vente par Robert Sample à la Compagnie de chemin de fer du Grand
Tronc, passé devant Me H. Bowen, notaire en date du 29 octobre 1859 » Ce lot maintenant
connu et désigné sous le numéro cent trente-sept (137) du quartier Saint-Laurent de la
ville de Lévis. La venderesse déclare que cet immeuble lui appartient pour l’avoir acquis
de William Tofied, hôtelier et dame Elisabeth Tofied, veuve du dit lieu, le 14 juin 1889. La
présente vente est faite pour le prix et la somme de neuf mille piastres (9 000 $).

17 septembre 1968 (# 152 054) : Madame Marie Blanche Imelda Dumont, veuve de
Joseph R. Lemieux (demeurant à Montréal), vendra la propriété à Yvan Carrier,
demeurant à Lauzon pour la somme de 14 000$. Yvan Carrier deviendra insolvable et
Mme Dumont reprendra son ancienne propriété dans un jugement du 17 juillet 1975.


22 octobre 1975 (# 193 004) : Madame Marie Blanche Imelda Dumont vend la propriété
à M. Robert Jacques, demeurant au 1 côte du Passage à Lévis. La vente du lot 137 et ses
bâtiments, ainsi que le lot vacant 138 est faite pour la somme de 10 000$.

11 mars 1997, enregistré le 3 novembre 1997 (# 421421) : Francine Jacques et al. (veuve
de Robert Jacques) vend la propriété à Jacques St-Hilaire.
12 mars 2019 (# 24 461 063) : Vente d’une part (1/3) en droits indivis de Jacques St-Hilaire
à Simon Cadoret.

12 mars 2019 (# 24 461 063) : Vente d’une part (1/3) en droits indivis de Jacques St-Hilaire
à Simon Cadoret.


Le 31 janvier 2020 (# 25 188 096) : Jacques St-Hilaire et Simon Cadoret vendent la
propriété avec bâtisse dessus construite portant le numéro 5204 à 5222, rue SaintLaurent, Lévis, à la compagnie à No 9407-4218 Québec Inc. pour 200 000 $ devant Me
Louis Laliberté.
À noter que les loyers bruts au moment de la vente s’élèvent à 2 400 $ par mois et que
l’acheteur doit respecter les baux en vigueur.
Le montant constituant la base du d’imposition du droit de mutation est de 572 022 $.
À noter que les acquéreurs ont contracté une hypothèque de 520 000 $ à la caisse
Desjardins de Québec, le 25 février 2020 (# 25 230 331)

Cet article a été publié dans Non classé. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s