Le Soleil, le 06 décembre 2010
« Depuis 25 ans, la densification, la dénaturation, et la démesure continuent, aux dépens du patrimoine exceptionnel du Vieux-Lévis. »
Depuis 1960, la vitalité du commerce du Vieux-Lévis a périclité. Il ne reste plus qu’une poignée d’entreprises sur les rues Bégin, du Passage et Saint-Louis alors que jadis, il y en avait plus d’une trentaine. Il y a 20 ans, la Ville de Lévis avait déterminé le périmètre du Vieux-Lévis. Des repères furent établis, notamment l’Église, le Collège, le Couvent, les Halles, le Manège, et quelques monastères. Des centaines de résidences furent cataloguées. Le Conseil voulait contrôler la rénovation et le développement immobilier pour préserver le caractère spécial du secteur. Lévis (Pointe Lévy) fut fondé en 1647, cinq ans après Montréal. En 1759, l’armée britannique a détruit Québec à partir de Lévis. En 1776, l’armée continentale américaine y a installé ses canons. C’est ici qu’en 1900, M. Desjardins a fondé sa première caisse populaire.
Le conseil d’arrondissement Desjardins propose de densifier et revigorer les anciennes rues de commerce en adoptant des objectifs applicables et des critères d’évaluation pour l’examen de projets immobiliers. Le premier objectif d’un projet sera de contribuer à la revitalisation du Vieux-Lévis et du voisinage immédiat en favorisant le redéveloppement de l’îlot Saint-Louis dans la continuité des rues d’ambiance Bégin et Côte du Passage, tout en considérant la mise en valeur des bâtiments de grande valeur patrimoniale (l’ancienne Halle Notre-Dame et le Manège militaire).
Un tel objectif pourra-t-il permettre d’atteindre les fins recherchées? Il est permis d’en douter. Pourquoi? La réglementation va justifier l’ajout de bâtiments de «grands gabarits» atteignant 22 mètres (sept étages). La Halle Notre-Dame a 14 mètres (3 étages). La hauteur moyenne des 63 bâtiments des trois rues est de 8,10 mètres, en majorité à deux étages (34) ou trois étages (23).
La norme proposée aura donc presque trois fois celle des bâtiments existants. Les consultants de la ville ont ignoré la réalité du milieu en recommandant «la construction d’un bâtiment repère, en bordure de la rue Saint-Louis, qui se démarque par sa hauteur et sa volumétrie contribuant à structurer de façon significative le cadre bâti de ce tronçon de rue». La construction va écraser le patrimoine immobilier de toute une rue, sans parler des rues voisines. Comment une construction contemporaine à grand gabarit pourrait-elle servir de bâtiment repère pour continuer l’ambiance des rues Bégin et du Passage, sans oublier celle de l’ancienne Halle et du Manège militaire?
La revitalisation telle que proposée pose des risques graves et sérieux pour l’image du Vieux-Lévis. La ville devrait s’inspirer des rues Maguire, Cartier et du Campanile, à Québec. Une architecte d’expérience oeuvrant dans le Vieux-Lévis a indiqué aux élus qu’un immeuble limité à quatre étages serait rentable. Dans le présent cas, les élus ont des obligations presque fiduciaires. Les immeubles à grand gabarit n’ont pas leur place dans le Vieux-Lévis. La voix qui doit guider chacun des conseillers de Lévis est celle de la réserve, de l’équilibre, du «gros bon sens». Certainement pas la voix de la démesure.
Yvan-M. Roy, avocat retraité, Lévis
Je suis tout à fait d’accord avec la conclusion de M. Roy: développer et revitaliser le Vieux-Lévis, oui, mais pas n’importe comment! N’y a-t-il aucun autre terrain où construire à Lévis des super-édifices d’habitation modernes? Faut-il vraiment donner un look moderne et actuel à un quartier qui date de la colonie? Densifier le Vieux-Lévis implique un effort d’intégration ou alors on devra vivre (au sens d’habiter et de vivre quotidiennement) avec sa dénaturation, point final. Les élus devront choisir entre porter cette responsabilité (et ça dure, une bâtisse, c’est un aide mémoire solide, en tout cas au moins jusqu’à sa prochaine démolition…) ou mériter le crédit de projets implantés avec intelligence et respect pour le passé et pour le présent, comme l’Anglicane, par exemple. Et je dis présent parce que je le rappelle aux preneurs de décisions: des gens biens vivants habitent déjà ce quartier, par choix, et l’aiment pour ce qu’il est, un milieu de vie à caractère patrimonial. Je doute que nos éventuels futurs voisins ne réclament ou n’exigent tant de démesure et de modernité ici, dans le Vieux-Lévis, afin de pouvoir « voir le fleuve de leur fenêtre ». Je crois qu’il existe d’eventuels futurs voisins qui aimeraient eux aussi vivre dans nos bâtiments d’époque, en tout respect et en toute harmonie avec ceux qui vivent déjà ici. Pensez-y bien, avant de continuer à vendre le Vieux-Lévis un bloc à la fois: c’est l’âme du quartier qui s’en va un peu plus à chaque fois.